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Joseph-Louis Sanguet naquit, le 8 Juillet 1848 à Aigueblanche
dans la Savoie, dans ce pays qui a fourni tant d'hommes au jugement
sain et au coeur bien trempé.
Venu à Paris à 17 ans, dans les circonstances que nous allons
relater, muni du petit bagage mathématique qu'il devait à un instituteur
dévoué, il étudia avec passion dans les livres ; fréquenta tout
en exerçant pour vivre les fonctions d'employé géomètre, les cours
publics de nos grands établissements scientifiques nationaux ; lut
et ce qui est mieux s'assimila les ouvrages des grands géodésiens.
Ce travail personnel en dehors de tout enseignement régulier,
eut d'ailleurs pour effet d'imprimer une caractéristique parfois
assez curieuse à ses écrits ou à ses doctrines. D'après le témoignage
même de mathématiciens réputés, M. Sanguet, doué d'une intuition
merveilleuse, apporta souvent, dans la solution des problèmes qui
s'offrirent à lui, des méthodes originales et ingénieuses, déroutant
même le technicien par la rapidité et la nouveauté de ses conceptions.
Pour nous faire une idée de l'activité déployée par M. Sanguet
au cours de son existence si bien remplie, nous allons le suivre
successivement dans ses travaux d'inventeur, de propagandiste technique
et enfin de professionnel.
De bonne heure, M. Sanguet manifesta des dispositions pour
tout ce qui touche à la géométrie.
A 15 ans, il suivait dans son pays natal, en s'y intéressant
vivement, les travaux des arpenteurs locaux et, bientôt, devenait
leur aide. Frappé alors des difficultés quasi-insurmontables, voir
même des dangers que comporte l'usage de la chaîne d'arpenteur pour
la mesure directe des longueurs dans les terrains coupés de gorges
profondes, à parois abruptes, comme il en avait des exemples sous
les yeux, le jeune Sanguet chercha si les quelques principes de
géométrie qu'il avait acquis ne permettraient pas de trouver un
procédé pour obtenir la longueur des lignes du terrain sans avoir
à les parcourir. Il y réfléchit si bien qu'il ne tarda pas à découvrir
le principe auquel on a donné depuis le nom d'auto-réduction et
qui permet de déterminer, au moyen de simples visées sur une règle
graduée ou mire, la longueur horizontale comprise entre deux points
quelconques, c'est-à-dire l'élément même qui est nécessaire au géomètre
pour construire le plan, calculer la superficie des champs, etc.
Il faut remarquer que fort heureusement pour le progrès de
la science topographique, Sanguet ignorait alors tout de la création
antérieure des lunettes stadimétriques qui servent aussi à évaluer
les longueurs par un procédé optique, mais qui nécessitent l'exécution
d'un calcul trigonométrique pour passer des données numériques fournies
par l'observation au seul élément véritablement utile, c'est-à-dire
à la longueur réduite à l'horizon. Si le jeune inventeur, en effet,
avait connu les travaux de ses devanciers, peut-être se fut-il contenté
de procédé moins parfait qu'ils avaient imaginé.
Quoi qu'il en soit, le procédé de Sanguet donnant directement
la distance horizontale, constituait un notable progrès sur tout
ce qui s'était fait auparavant.
Mais il y a souvent loin de la découverte d'un principe théorique
à sa réalisation pratique. Avec une ténacité et une ingéniosité
rares à cet âge, M. Sanguet établit aussitôt le plan de son instrument
qui était caractérisé par la substitution d'un procédé mécanique
au procédé optique pour obtenir les deux visées nécessaires pour
l'évaluation d'une longueur.
Dès le mois de Mars 1865, âgé alors de 17 ans et 1/2 à peine,
il fit breveter l'appareil connu sous le nom de longimètre Sanguet.
L'instrument fut construit la même année et présenté à Paris, à
la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale, laquelle
désigna comme rapporteur M. Benoît, ancien officier du corps des
Ingénieurs-géographes.
D'après la conclusion du rapport approuvé en séance le 27
Juin 1866, M. Sanguet avait bien et complètement résolu l'utile
problème qu'il s'était proposé, et dont la solution, d'après le
professeur Francoeur, auteur d'un traité réputé de Géodésie et de
Topographie, n'était qu'imparfaitement obtenue par des lunettes
soit à fils micrométriques, soit munies de prismes à double réfraction.
Le longimètre de 1865 présentait cependant des imperfections
inévitables qui ont amené peu à peu M. Sanguet à introduire dans
sa construction, tout en conservant toujours le principe de l'auto-réduction
mécanique, des perfectionnements successifs dont l'aboutissement
a été le très remarquable tachéomètre autoréducteur portant son
nom, si apprécié aujourd'hui tant en France qu'à l'étranger. Parmi
ces perfectionnements, il faut rappeler les dispositions si ingénieuses
adoptées pour assurer le contrôle de toutes les mesures linéaires
et angulaires fournies par l'instrument : dispositif à contrôles
multiples des longueurs permettant, en outre, de vérifier les inclinaisons
et de proportionner la portée de l'instrument à la précision que
l'on se propose de réaliser ; dispositif des verniers complémentaires
pour le contrôle des angles horizontaux ; déclinatoire perfectionné
augmentant la précision de l'orientation, etc..
Le souci de la perfection était teI chcz M. Sanguet qu'il
ne mit son tachéomètre-autoréducteur dans le commerce qu'après l'avoir
expérimenté et fait expérimenter par ses élèves pendant de très
nombreuses années.
Préoccupé, comme on le verra, de l'extension aux travaux
du cadastre de la méthode des coordonnées rectangulaires, M. Sanguet
inventa, d'autre part, en 1872, et construisit en 187ô, un autre
instrument véritablement surprenant, le coordinatomètre ; cet appareil
fait lire directement sur une mire graduée verticale les distances
de cette mire à deux plans rectangulaires verticaux passant par
l'axe de l'instrument, c'est-à-dire les coordonnées cartésiennes
mêmes du pied de la mire, et cela, sans que l'on ait à déterminer
aucune valeur angulaire.
Ce coordinatomètre, exposé à Paris, en l878, fut acheté par
l'Etat pour le Conservatoire national des Arts et Métiers.
En 1879, nouvelle invention : M. Sanguet conçoit, construit
et expérimente le longi-altimètre. Cet instrument a l'aspect général
d'un théodolite mais, au lieu de donner seulement les éléments nécessaires
pour calculer les distances et les différences de niveau, il fournit
directement et sans calculs les résultats cherchés au moyen de visées
faites sur une mire horizontale. En particulier, on lit, sur cette
mire, sa hauteur au-dessus de la station sans même connaître ni
l'inclinaison de la visée ni sa longueur. Cet instrument est ainsi
spécialement conçu pour lever les plans cotés et à courbes de niveau.
Tous les tachéomètres et les instruments similaires sonl
d'un prix relativement élevé ; beaucoup de géomètres, désireux depuis
longtemps d'expérimenter le procédé moderne de levé tachéométrique,
auraient voulu pouvoir transformer leur outillage par l'adjonction
à leurs cercles à lunette et à leurs niveaux d'un petit appareil
léger et peu coûteux permettant la mesure optique des longueurs.
M. Sanguet le leur apporta, en 1886, sous le nom de diastimomètre,
c'est un simple prisme serti dans une garniture cylindrique qui
s'adapte à volonté devant l'objectif de la lunette d'un instrument
quelconque.
De plus, pour répondre à divers besoins spéciaux, M. Sanguet
créa encore une alidade tachéométrique, une boussole topographique,
une règle à calculs pour les géomètres topographes et d'autres accessoires
variés (rapporteurs à échelles mobiles, abaques, etc. )
Enfin, pour faciliter les calculs des topographes, il calcula
el publia ses excellentes tables trigonométriques centésimales,
avec ses nombreuses annexes et sa notice, qui constitue un guide
précieux pour la résolution de tous les problèmes que l'ingénieur
topographe a journellement à traiter.
Toutes ces créations méritèrent successivement à l'inventeur-constructeur
une médaille d'argent à l'Exposition de Paris en 1878, des médailles
d'or à celles de Paris, en 1889 et en 1900, un diplôme d'honneur
aux Expositions de Liège en 1905 et de Milan en 1906 : enfin, un
Grand Prix à celle de Londres en 1908, Il fut membre du Jury aux
Expositions de Turin, en 1911 et de Gand en 1913.
Membre du Conseil d' Administration du Syndicat patronal
des constructeurs d'instruments de précisions et du comité français
des expositions à l'étranger, sa parole et ses conseils y furent
appréciés. ...
Publicité dans le Journal des Géomètres-Experts
Français n°2 de février 1921
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TECHNIQUE DU MESURAGE
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Il appartenait cependant à un géomètre français, SANGUET,
de dépasser tous ses devanciers en créant le tachéomètre autoréducteur
ou s'allient l'ingéniosité mécanique et les fruits d'une longue
expérience personnelle.
Il est bon de savoir que cet appareil fut conçu en 1864 alors
que Sanguet n'était âgé que de 16 ans et qu'il avait dû aussitôt
après avoir obtenu son certificat d'études primaires, s'engager
comme employé-géomètre, que pour réaliser son invention il dut quitter
son pays natal la Savoie, qu'il fréquenta pendant quelques années
autant les ateliers de mécanique que les bureaux de géomètres, que
ce fut par de longues stations dans les bibliothèques ouvertes au
public et en suivant les cours du Conservatoire des Arts et Métiers
qu'il réalisait après 5 ans environ de pénibles études ou essais
son premier instrument, le longimètre, ancêtre du tachéomètre actuel
qui depuis 1880 n'a pas reçu de modifications essentielles mais
plutôt des perfectionnements de détail.
Non seulement Sanguet avait réalisé les voeux exprimés par
les praticiens au point de vue de la précision, mais il avait doté
ses appareils d'organes de contrôle qu'on trouve rarement dans des
appareils similaires et auxquels lui et ses confrères attachaient
le plus grand prix.
Les conceptions de Sanguet dans le domaine de la topographie
lui ont assigné un rôle de créateur qui a excité tantôt l'admiration,
tantôt la jalousie des contemporains qui se sont illustrés dans
le même domaine.
Mais Sanguet a conçu et réalisé d'autres instruments qui
donnent bien la force de son génie.
Le longi-altimètre, donnant par de simples lectures sur une
mire horizontale à la fois la distance réduite à l'horizon et la
différence d'altitude entre l'instrument et le point visé.
Le coordinatomètre, instrument qui une fois orienté sur le
terrain donne par lectures successives sur une mire les coordonnées
X et Y de chaque point levé, peut montrer en quelque sorte que l'établissement
du Cadastre par les coordonnées était une chose facilement réalisable.
Le diastimomètre utilisant pour la mesure des distances la
déviation des rayons lumineux à travers un prisme. A ce sujet, disons
que l'utilisation du prisme dans la mesure des distances avait été
réalisée par Sanguet dès 1886, qui, poussant plus loin cette réalisation,
avait construit un diastimomètre autoréducteur qui figurait dans
de nombreuses expositions.
Mais l'activité de notre grand géomètre Sanguet ne s'est
pas confinée dans la construction d'instruments de mesure, car il
avait complété, et nous osons dire bouleversé, les méthodes de lever
et les calculs tachéométriques par des méthodes ingénieuses dont
nous n'avons eu qu'à nous inspirer quand nous avons rédigé " la
tachéométrie de précision ".
Il savait d'ailleurs défendre avec à-propos et avec chaleur
ses idées personnelles tant dans des conférences que dans des écrits
et son journal, "la Réforme Cadastrale ", qui a paru de 1885 à 1896,
a fait valoir son style lumineux, sa rédaction nette et claire et
bien des idées qui restent encore neuves à l'heure actuelle.
Il eut des élèves et pour ne citer que ses contemporains,
nous tenons à nommer ici les géomètres Coutureau, Besche, les frères
Chevrier, Jeuilly, Richard.
De nombreux abonnés s'inscrivirent à la " Réforme Cadastrale
", journal où nous avons trouvé un enseignement précieux pour les
géomètres, enseignement qui a devancé l'enseignement le plus moderne
et nombre de géomètres l'ont compris, car actuellement il est impossible
de se procurer une collection de ce journal. L'enseignement que
Sanguet a pratiqué ainsi a eu une répercussion notable sur les géomètres
actuels.
Il a développé l'emploi du tachéomètre autoréducteur, le
calcul des coordonnées, précédé en triangulation la méthode du point
approché employée couramment, permis à tous les géomètres d'assimiler
des notions d'astronomie appliqué pour l'orientation des levers,
en s'aidant d'observations solaires, vulgarisé la notion des erreurs;
en un mot, mis à la portée de tous les géomètres le fondement des
connaissances topographiques indispensables pour effectuer des levers,
qu'il s'agisse de levers de travaux publics ou de levers parcellaires.
Si cet exposé constitue une apologie de Sanguet, il faut
bien reconnaître qu'il doit figurer en première place dans la pléiade
de tous ceux qui ont illustré la profession et que la personnalité
de certains grands géomètres est un peu effacée par celui qui tint
la vedette pendant près de 50 ans dans notre corporation.
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