MONTRICHER

Souvenirs d’un chantier particulier

 

            Employé comme stagiaire par Bruno Charvet, géomètre-expert dans le Rhône, entre le 1er février 1968 et le 31 janvier 1971,  je fais office de chef de brigade.

 

            Je travaille régulièrement pour un Bureau d’Etudes Techniques de la région parisienne, Europes-Etudes, qui a une direction régionale à Villeurbanne. Ses domaines d’intervention sont : l’engineering, bâtiments, installations industrielles, tracés routiers, ouvrages d’art et assainissement.

            Pour eux, j’ai participé, entre autres, à la rectification des virages de la Route Nationale 7 dans la descente du col du Pin-Bouchin, entre Fourneaux, Neaux et l’Hôpital dans la Loire. Dans le Puy-de-Dôme,  j’ai aussi fait les relevés, les acquisitions et les implantations pour la reconstruction du pont de Longues sur l’Allier, sur la Départementale 225 à Vic-le-Comte, et pour la déviation de la Route Nationale 89 pour éviter le tunnel de « La Cassière ».

Ces déplacements ne me déplaisent pas. Bien sûr, les trajets hebdomadaires en 2 CV sont longs et fastidieux mais au moins, on voit du pays.

 

LE CHANTIER, PREMIERE PHASE

            Quand le patron me parle d’un chantier en Savoie, tout près du lieu d’origine de ma famille paternelle, Albanne, petit village de Maurienne, je suis plutôt enthousiaste. Les trajets me permettant de passer quelquefois dire bonjour à mon oncle de Randens, c’est bien.

 

1- Albanne, berceau de ma famille, vers 1970

 

            L’objectif de l’opération est l’aménagement d’une section de la départementale 81 pour permettre aux cars d’accéder à la future station de ski « Les Karellis », projetée sur le plateau.

Les trois virages en épingle à cheveux qui ponctuent la montée, trop serrés, ne le permettent pas. La pente de la montagne est telle que des travaux de terrassement sont impossibles. Le projet est alors d’élargir la route en augmentant le rayon des virages.

 

            Nous commençons la dernière semaine d’octobre 1968 par le relevé de la route existante, sur environ 1100 m de longueur, en commençant 300 m après la sortie du hameau du Bochet, en direction du chef-lieu de Montricher. Les zones des trois virages sont beaucoup plus détaillées pour que le plan serve de support aux études.

 

2- L'entrée du Bochet en 1970

 

Nous sommes trois : un opérateur, Christian, et un apprenti, Jean-Michel, complètent la brigade. Nous logeons et nous nous restaurons à Saint-Julien.

            Pour nous, ce début ne présente pas de difficulté, c’est un travail de topographie classique malgré la forte pente du terrain naturel. Nous utilisons un tachéomètre de marque Salmoiraghi type Tari, appareil capable de mesurer les angles, les distances et les différences de niveau.

            Les fumées de l’importante usine ferro-métallurgique qui s’étale au pied de la pente, juste après le pont qui franchit l’Arc, sont bien visibles mais heureusement, elles suivent la vallée et ne se rabattent pas sur le versant.

 

3- Le fond de la vallée en mai 1970

4- L’usine ferro-métallurgique du Bochet en 2009

 

            Pour que notre plan soit coté en altitude rattachée au Nivellement Général de la France, nous sommes obligés de traverser le hameau, de descendre jusqu’à l’usine et de remonter à la gare de Saint-Julien après avoir traversé l’Arc. C’est le repère le plus proche, à environ deux kilomètres, et il nous faut plus de deux heures pour faire le trajet en reportant le niveau de proche en proche avec notre niveau de précision Wild N2 sur trépied et notre mire verticale en bois de quatre mètres.

 

   

5- Repère du Nivellement Général de la France,             6- Niveau Wild N2,                         7- Tachéomètre Salmoiraghi Tari

 

            Le plan livré, les études sont terminées et les travaux lancés en novembre 1969.

 

LE PROJET, DEUXIEME PHASE

            La deuxième phase du chantier, c'est l’implantation du projet des trois virages. Il faut matérialiser les points de l’axe et les profils, sur le terrain, avec des tubes métalliques, des tirefonds et des pointes Spit suivant l’importance du point et la nature du sol. Astuce que j’ai apprise lors de mon premier stage, les tirefonds proviennent de la récupération, le long des voies ferrée, quand on en a l’occasion d’en trouver, après des travaux de renouvellement des traverses en bois.

 

  8- Tirefond

 

             Ces grosses vis métalliques, d’une vingtaine de centimètres de longueur, quand elles sont attaquées par la rouille, donc inutilisables pour leur destination première : fixer les rails sur les traverses, elles deviennent plus pointues et remplacent avantageusement les piquets en bois. Les meilleurs sont les plus petits, du type 0, chiffre qui est indiqué en relief sur la tête.

 

            Le matériel à transporter sur place est plus important : le théodolite avec son trépied, des jalons en bois de deux mètres, le ruban de cinquante mètres que les géomètres appellent : la chaîne. C’est en souvenir du décamètre fait de cinquante maillons de fil de fer de vingt centimètres terminé aux deux extrémités par une poignée, utilisé depuis toujours par nos prédécesseurs. En plus des repères cités, il faut de quoi les planter : marteau, masse, broche et peinture de marquage. Nous ne sommes pas trop de trois.

 

            Les calculs ont été préparés au bureau, la semaine précédente, nous n’avons plus qu’à appliquer les angles et les distances à partir des repères des stations. La station est le lieu précis où, il y a un an, l’opérateur avait mis en position l’appareil qui a servi aux mesures du plan.

 

            Nous sommes en décembre 1969, un vendredi et nous avons presque terminé notre travail. Pas de chance, Jean-Michel est malade, un léger refroidissement, depuis la veille, il nous faudra finir à deux. Au lever, surprise, quinze centimètres de neige sont tombés dans la nuit !

Pour les quelques points qui restent, nous n’allons pas revenir, il faut donc y aller. La 2 CV monte bien jusqu’au Bochet mais elle refuse de dépasser les dernières maisons dès que la pente se raidit. Elle patine. Pas de chasse-neige en vue, d’ailleurs la circulation automobile, déjà peu importante sur l’itinéraire,  est plus que réduite à cette époque de l’année. Nous n’avons vu passer qu’une voiture qui descendait dans la matinée.

 

 

9- Le  Bochet, vers 1960

 

            C’est chargés comme des mules que nous terminons le trajet à pied, chaussés de bottes en caoutchouc. Retrouver nos repères avec la couche de neige nous prend déjà un bon moment. Heureusement, les marques de peinture que nous avions mises l’année dernière sur les mélèzes, nous permettent de les dégager.

 

            Pour que notre travail puisse être retrouvé et utilisé par l’entreprise chargée des travaux, pas moyen de se contenter de pointes Spit qui seraient décapitées par la lame d’un chasse-neige. Alors, pour un point important, il faut planter un tirefond dans l’enrobé, couche superficielle de la chaussée. Ce n’est déjà pas une mince affaire à température normale. Quand le thermomètre est au dessous de zéro, c’est d’autant plus difficile que le bitume est gelé, dur comme de la pierre. Il faut faire un avant-trou avec le marteau et la broche. Celle-ci est tellement froide que, faute de gants, elle reste collée sur la paume quand on ouvre la main. Le reste se fait à la masse à grands coups sur la tête du tirefond qui doit s’enfoncer complètement pour être à l’abri d’un arrachement accidentel.

 

            Avec tous ces efforts, on ne risque pas d’avoir froid. Avec Christian, nous nous relayons pour souffler entre deux rafales de coups.

Nous n’avons pas la possibilité de faire du repérage, la neige absorbe la peinture vinyle pour faire de grosses taches rouges qui ne tiendront pas. Ce sera pour le printemps, quand il fera plus sec.

On en a assez bavé pour cette semaine. On récupère Jean-Michel à l'hôtel et on file pied au plancher, à 80 km/h en vitesse de pointe, pour regagner nos pénates, à 225 km.

 

 

10- Montricher, le chef-lieu, vers 1970

 

TROISIEME PHASE : CONSTRUCTION DE LA ROUTE

            Je ne sais pas comment l’entreprise Pascal de Grenoble a fait, mais elle a travaillé toute cette fin d’hiver.

Les virages futurs vont reposer sur une dalle en béton construite en partie sur le vide. Elle sera portée par des consoles, des voiles et des piliers sur semelle. Des murs de soutènement permettront de gagner sur la largeur de la route.

 

  

11- Virage 3, la foreuse sur l'estacade.                                                            12-avec son barillet de tiges, mai 1970

 

            Pour ancrer tous ces éléments, des câbles ou tirants, sont prévus. Chacun sera posé et bétonné dans un forage dans le rocher de plusieurs mètres de profondeur. Il est donc essentiel de positionner avec grande précision l’endroit où la foreuse va opérer.

L’entreprise a aménagé des pistes ou estacades pour l’engin et posé du béton de propreté aux endroits où les trous des câbles seront forés.

 

13- Principe de l’ancrage d’une console

 

14- Virage 1, section sur consoles et mur de soutènement. 2009

 

15- Deux câbles sont nécessaires pour tenir un voile du virage 1

 

16- Virage 1 section sur voiles, à gauche le mur de soutènement de l’ancien tracé. 2009

 

17- Virage 1 au premier plan, l’ancien tracé, puis la dalle sur voiles. 2009

 

18- Un seul câble pour ce voile du virage 2 qui a plus d’assise

 

19- Virage 2, deux sections sur consoles et le mur de soutènement, partie récente en béton, partie ancienne en grosses pierres. 2009

20- Plan du virage 3, section sur piliers reposant sur des semelles, les deux premiers dépassent la dalle.

21- Virage 3 en construction, mai 1970

 

22- Virage 3, palplanches, consoles et piliers sous la dalle. 2009

 

            Du 13 au 17 avril, nous effectuons une nouvelle intervention. Pas mal de repères ont disparu inévitablement du fait des travaux. Après vérification du niveau des voiles et semelles, des consoles du virage 2 et celles du virage 3, je rédige le rapport des opérations :

 

C.D. 81 LE BOCHET-MONTRICHER

            Implantation des tirants des virages 2et 3

-        Vérification des travaux en cours

-        rapport sur les opérations topographiques exécutées du 13 au 17 avril 1970

 

1ère partie : IMPLANTATION

            L’implantation des tirants se fait en planimétrie et en altimétrie

Le tirant fixé en position et en direction, il reste à le fixer en hauteur.

 

VIRAGE N°2

            Il reste sur le terrain, le sommet 6, les profils A et F et les tangentes du sommet S6

L’entreprise a décalé sur la route les alignements issus de S5, antérieurement aux travaux.

Après remise en place du sommet 5 avec les éléments d’implantation issus du lever et vérification des alignements décalés par l’entreprise, les voiles 2 à 9 et les consoles 10 à 11 sont piquetés à partir de l’alignement droit issu de S5.

            Les consoles 12 à 17 sont piquetées à partir de la parallèle à 1 m 61 de l’alignement S5-A.

Le voile n°1 n’est pas piqueté, le béton de propreté n’étant pas fait. Seul un piquet est placé dans le prolongement de l’alignement droit issu de S5 pour en assurer la direction.

 

Nivellement

            Avant tout nivellement des piquets, la stabilité des repères est vérifiée. Les repères de nivellement placés le 24 octobre 1968 sont constitués par des tirefonds scellés dans les murs existants. Ils ont été rattachés au repère N.G.F. de la station St-Julien de Maurienne.

 

Vérification du 14 avril 1970

            Entre les repères n°3 d’altitude 763,600 et le repère n°4 d’altitude 777,580, la dénivelée est passée de 13,980 m à 13,907 m, soit un écart de -0,073 m

            La vérification jusqu’au repère 5 d’altitude 788,352 m donne 24,597 m pour 24,752, soit un écart de -0,155 m.

            Ces résultats étant obtenus par nivellement aller-retour, la poursuite de la vérification s’impose.

            Du repère 5 au repère 6 d’altitude 806,205 la dénivelée passe de 17,853 m à 18,010 m, soit un écart de +0,157 m.

            La dénivelée entre les repères 6 et 7 est inchangée.

            Le repère 3 est aussi vérifié par rapport au repère 2 et un faible écart est enregistré.

 

EN CONCLUSION :

-        Les repères 2 et 3 sont relativement stables.

-        Le repère 4 est descendu de 0,075 m.

-        Le repère 5 est descendu de 0,157 m.

-        Les repères 6 et 7 sont stables.

            Un repère provisoire est placé sur la route pour remplacer le repère 4 rendu inaccessible par suite de déformations importante du mur.

Ce repère est à l’altitude 777,009 m.

 

            Après nivellement des piquets, l’implantation en hauteur des tirants impose des hauteurs instrumentales moyennes de 2 m 50 avec un maximum de 3,18 m pour le tirant 8 bis. Ceci nécessite la construction d’échafaudages pour les 16 stations, l’estacade ayant un niveau inférieur à celui prévu.

            Les impacts des tirants 2 à 17, ainsi que 8 bis et 9 bis sont matérialisés. Les altitudes de ces impacts sont vérifiées le 17 avril.

            A ce moment là, le mur déformé sur lequel se trouve le repère 4 s’est en partie écroulé et une vérification entre le repère 3 et le repère provisoire montre que ce dernier est descendu de 0,023 m. Un autre repère placé sur le béton de propreté au niveau de la console 10 est descendu de 0,037 m. Ces derniers écarts sont enregistrés entre le 14 et le 17 avril 1970.

 

VIRAGE N°3

            Il reste sur le terrain : le sommet 10 et les profils KLM et suivants.

Le piquetage des tirants des voiles 12 à 16 s’effectue à partir du sommet 9 replacé avec les éléments conservés depuis l’implantation.

            Après nivellement des piquets, l’implantation en hauteur des tirants, contrairement au virage 2, nécessite des hauteurs instrumentales s’échelonnant de 1,57 m à 0,03 m, l’estacade ayant un niveau supérieur à celui prévu. Aucun impact ne tombe sur le béton de propreté correspondant, l’impact du voile 15 tombe au-dessus, tous les autres largement au-dessous.

 

2ème partie : VERIFICATION - VIRAGE n°3

 

            Les tirants des consoles sont déjà en place, leur vérification donne des écarts avec le projet compris entre 0,007 m et 0,039 m avec une moyenne de 0,022 m en nivellement. Les écarts en distance sont inférieurs au centimètre.

Les semelles des poteaux dont les tirants sont en cours de forage, ont en nivellement, des écarts avec le projet inférieurs au centimètre, sauf le poteau 8 où il est de 0,032 m.

23- Virage 2. Le mur de soutènement, initialement en pierres sèches, a été jointoyé et muni de barbacanes pour l’écoulement des eaux. Il est bombé alors qu’à l’origine, il penchait du côté amont avec un fruit important. C’est une partie de ce mur quelques mètres plus bas, qui s’est déformé avant le 14 avril 1970, rendant inutilisable le repère de nivellement n°4. La mire ne pouvait plus être posée dessus verticalement. Cette partie s’est écroulée le 17 et a été refaite en béton. (voir photo 19). 2009

 

            Le rapport ci-dessus, pour le virage 2, fait état d’une hauteur d’estacade plus basse que prévue et l’obligation de construire des échafaudages pour installer l’appareil à la bonne hauteur et viser l’impact des tirants sur le béton de propreté. Le trépied a bien des branches télescopiques, mais elles ne permettent de faire varier la hauteur qu’entre 50 cm et 1,80 m environ. L’échafaudages pour monter plus haut doit être double : un pour l’appareil et un pour l’opérateur, sans liaison entre eux. Si l’appareil est stable, l’opérateur est obligé de tourner autour et s’il marche sur des planches communes qui bougent, l’appareil n’est plus parfaitement calé.

24- Mise en station acrobatique en mai 1970

 

            Le montage des échafaudages est long, aussi, nous avons recours à différentes techniques : des objets divers comme trois bidons de 200 litres posés verticalement : deux pour l’appareil et un pour l’homme. Une fois même l’appareil est calé sur un échafaudage et l’opérateur installé dans le godet d’un élévateur.

            Ceci au mépris de la plus élémentaire prudence. Nous n’avions même pas de casque de chantier. C’est pour cela que j’ai assuré moi-même les positions les plus périlleuses.

 

25- Christian dans le godet avec un fil à plomb, Jean-Michel surveille l'opération

 

            D’autres vérifications de nivellement ont lieu les 28, 29 et 30 avril.

Seul l’impact de la console 5 du virage 1 est descendu de trois centimètres.

 

26- Vue générale du flanc de la montagne depuis la voie ferrée. 2009

 

27- Zoom sur les virages 1 et 3. 2009

 

QUATRIEME PHASE : LA SURVEILLANCE

 

 

28- Vue panoramique depuis Saint-Julien fin mai 1970

 

29- Le point de départ des éboulements

 

            En mai 1970, se produisent d’importants mouvements de terrain et des éboulements de rochers dont un a défoncé le bungalow de chantier de l’Entreprise, heureusement inoccupé. Ce bungalow était installé à l’intérieur de l’épingle à cheveux du virage 2. L’appareil du géomètre, un théodolite Wild T2 a été retrouvé intact dans sa boite parmi les débris. Il n’en n’est pas de même pour un engin de terrassement qui a subit de gros dégâts.

 

30- Eboulement du mur de soutènement, virage 2 mai 1970

            De retour sur le chantier à la fin du mois, c’est le grand chambardement. Des coulées de terre et de rochers continuent de se produire. Des alpinistes acrobates tentent de poser des drains pour éloigner les eaux de ruissellement.

 

31- L'eau et la boue continuent de ruisseler, virage 2

 

Il y a même un hélicoptère qui transporte des matériaux pour  la zone qui a décroché. La route est transformée en montagnes russes.

 

32- La couche de terre a glissé sur le rocher, virage 2

 

            Curieusement, je constate alors que je peux retrouver mes repères posés sur celle-ci avec les marques faites sur les arbres environnants, les distances n’ont que peu varié, les arbres sont donc descendus en même temps qu’elle : c’est toute la couche de terre qui a glissé sur le rocher !

 

33- Panoramique sur le virage 2 où se trouvait le bungalow de l'entreprise

 

34- Suite : l'ancien mur de soutènement a résisté

 

35- Panoramique du virage supérieur déjà aménagé

 

36- Virage supérieur, le mur de soutènement moderne a glissé

 

37- Et il s'est ouvert

 

38- Virage supérieur, rochers au milieu de la chaussée

 

39- La coulée au dessus du Bochet

 

40- Vue sur la vallée depuis le virage 1 : l'usine, l'Arc, la voie ferrée, l'autoroute et Saint-julien. 2009

 

            Je tente de refaire un nivellement mais, surprise, le repère N.G.F. qui nous a servi et qui était dans la maison du passage à niveau de la gare de Saint-Julien a disparu !

Il a été remplacé par un autre à l’extérieur du bâtiment. Nous cherchons à connaître en urgence l’altitude du nouveau et à savoir si cette altitude a été déterminée à partir de celle de l’ancien, ou si une nouvelle maille de cheminement a été exécutée à cette occasion.

            Le 8 juin, l’Institut Géographique National nous répond que la section a été refaite entièrement en 1969.

« Le nouveau repère IX’ n°97 sur le Passage à niveau n°75, au kilomètre 214,32 de la voie ferrée St-Jean-de-Maurienne Modane avec la D 79 a pour altitude 634,247 et remplace le repère 17a qui a été déposé ».

            Avec ce changement, nous ne pouvons plus assurer le millimètre. Heureusement, nos repères les plus bas n’ont pas bougé.

Du 9 au 11 juin a lieu la reprise de la polygonation, observations et calculs de la position de l’ensemble des repères ayant servi au plan d’octobre 1968, pour déterminer les déformations depuis cette période.

            Le nivellement de la station S2 du premier virage, à 755 m d’altitude ayant démontré sa relative stabilité, ce point est pris comme référence pour le calcul des coordonnées. Le repère de nivellement n°8, plus haut, à 831 m, stable lui aussi, assure l’autre extrémité.

Résultat : les déplacements et différences d’altitude sont énormes : le maximum est sur un point situé sur le bord de la route, juste au dessus du virage 2, à 826 m : 1,84 m en direction de la vallée et 1,10 m en perte d’altitude, alors qu’un repère situé trente trois mètres plus loin vers Montricher, semble ne pas avoir bougé. Le virage 2 lui-même, s’est déplacé de 1,53 m vers la vallée et a perdu 0,88 m en altitude. Le virage 1 n’a pratiquement pas bougé, du moins en altitude puisque c’est seulement dans ce sens que la comparaison est possible. Le virage 3, au dessus de ce dernier, s’est déplacé d’une vingtaine de centimètres pratiquement en direction du virage 2, mais n’est descendu « que » de dix centimètres.

 

41- Mouvement  du virage 2 : 1,53 m en position du côté de la vallée et 0,88 m en altitude (report au 1/10 sur le fond de plan de 1968 au 1/200)

 

            Sur le plan de situation au 1/5000 qui nous a été fourni, on peut lire : « Grand Couloir » juste au dessus et en direction du virage 2. De l’autre côté de ce « Grand Couloir », l’indication « Ardoisières » laisse supposer que cette zone soit truffée de galeries anciennes d’exploitation.

 

42- Ardoisière du Bochet au début du siècle

 

            A partir de ce moment là, je ne peux plus avoir confiance dans les repères situés à flanc de montagne, je décide donc, de fixer deux repères pour former une base, dans la vallée, en rive droite de l’Arc, le long de la Nationale.

 

43- Plan de situation avec, en haut la base sur la RN6 (non encore dessinée), les trois virages, les liaisons entre les  points de contrôle X1 à X21 en rouge, X22 à X26 en vert, les visées en bleu.

 

            Les Ponts et Chaussées font procéder également à la mise en place, par l'entreprise, de points de contrôle nouveaux, en dehors des zones de travaux. Ces points sont constitués par des fers à béton torsadés de 0,80 m de longueur noyés dans un massif de béton et protégés par des chaises en bois bicolores. Ces points sont numérotés de X1 à X16 et de X19 à X21.

            Pour contrôler ces repères ainsi que ceux datant d'octobre 1968, le principe envisagé est la mesure de la longueur de la base de la Nationale et de tous les angles des triangles, pour déterminer, par calcul, la longueur des côtés qui traversent l’Arc et qui sont trop longs pour être mesurés. Nous utilisons un appareil récent de mesure de distance à l’aide d’ondes infrarouges : le Distomat Wild-Sercel DI-10. Il appartient à un géomètre lyonnais qui nous le loue. Il se compose d’une tête avec deux grands yeux côte à côte, un émetteur et un récepteur. Elle est reliée au boîtier de commande par deux câbles. Elle est fixée à l’aide d’une pièce de liaison, sur la lunette d’un théodolite Wild T2, qui lui, permet la mesure des angles. Le boîtier est posé à terre.

 

  

44- Le Distomat Wild-Sercel DI-10 tête et boîtier, bloc de neuf prismes réflecteurs Wild

 

            L’onde émise par l’appareil installé sur le premier point, est reflétée sur un prisme réflecteur posé sur un trépied, au deuxième point de la distance à mesurer, elle est capturée par la partie récepteur et le boîtier calcule et affiche la distance. Pour lire cette distance, on plaque les yeux comme avec un masque de plongée, sur un entonnoir en caoutchouc qui s’adapte sur le boîtier ouvert et les cylindres lumineux qui portent les graduations apparaissent. Le problème, c’est que le représentant du fabricant m’affirme, que même avec un dispositif de neuf prismes, le maximum possible, l’appareil ne mesure pas au-delà d’un kilomètre.

 

45- Mesures au DI-10 en 1971 (en Isère)

 

            J’ai donc choisi mes points de façon à avoir les côtés les plus courts possibles. La base de la vallée, entre les deux repères,  fait 480,39 m de longueur.

Je tente quand même de mesurer la distance depuis ces deux points, nommés X17 et X18, au premier des nouveaux points. Avec beaucoup de chance, l’air étant particulièrement limpide, le DI-10 a pu remplir son office, il donne 1011,72 et 1148,69 m de distances réduites à l’horizontale, record battu ! A vrai dire, comme il n'y a pas de cylindre gradué pour les kilomètres, on ne peut seulement lire que les centaines de mètres jusqu'à 9 et au dessous.

            En suivant le principe initialement prévu, des calculs du triangle sont faits manuellement, à l’aide d’une table de logarithmes à sept décimales, à partir de la longueur de la base et à l’aide de tous les angles observés. Ils donnent 1011,695 au lieu des 1011,72 m observés à partir de X18 et 1148,68 au lieu des 1148,69 m observés à partir de X17. Ceci démontre la fiabilité de l’appareil au-delà du kilomètre.

 

            En juillet, des repères sont posés sur les ouvrages construits des virages 1 et 3.

            Le 7 août nous sommes avertis que la dalle du virage 3 sera coulée le 13 et que les câbles seront mis en tension le 25. En fait ce sera fait les 31 et 1er septembre.

            Le 27 août les repères du virage 3 sont nivelés.

 

            Nous sommes sur place les 9 et 10 septembre pour des opérations de contrôle qui deviendront classiques. Le Distomat et le théodolite T2 des premières mesures ne sont pas libres. Le 9 j’en récupère un exemplaire de location en gare, ils viennent de Paris. Ils seront réexpédiés sans tarder le 10 à 20 h, ça coûte cher.

            La comparaison des coordonnées avec celles des calculs primitifs  a fait apparaître des déplacements inférieurs aux compensations du calcul. Sur le rapport, précision est faite que les écarts ne sont significatifs que s’ils excèdent quatre centimètres.

            Les différences d’altitude sont toutes inférieures au centimètre.

On peut conclure qu’entre le 11 juin et le 10 septembre la stabilité est générale.

            Ouf !

            Après mise sous tension des tirants, la majorité des repères du virage 3 n’ont pas bougé. Seuls les points 11, 13 et 14 sont descendus de 7 à 10 mm.

 

            Les câbles sont fixés dans leur forage par injection de bentonite qui est un béton spécial, très fluide. La quantité exacte est calculée à chaque opération pour vérifier qu’il n’y aura pas de manque par formation de bulle d’air, ce qui pourrait provoquer, à la longue, la corrosion du métal. Ensuite une sorte de collier est installée autour, à sa sortie du béton de propreté et un vérin hydraulique exerce une traction de 300 tonnes en épreuve.  La plaque métallique carrée, qui doit faire deux centimètres d’épaisseur, percée pour laisser passer le câble et qui sert d’appui au vérin, contre le béton, se déforme sous la pression jusqu’à ressembler à une coupelle creuse de quelques centimètres.

            Je demande au chef de chantier si étant donnée la nature friable du rocher, ce qui se passe s’il sent que le câble vient en sortant de son trou. Il me répond froidement : « on arrête de tirer » ! J’espère que c’est une boutade. Dans le cas contraire, quelle serait la tenue de ces ouvrages à l’avenir ?

 

            Décembre arrive et nous recommençons tous les contrôles. Seuls les points X19 à X21, situés dans le prolongement de la route après le virage 2, ont des déplacements de l’ordre de treize centimètres vers la vallée. Le 21 décembre 1970, le point X19 a disparu par un éboulement local. Cinq repères supplémentaires sont mis en place plus haut sur la route, jusqu’à l’altitude 890,59 m. Le chantier comporte désormais 350 mètres de différence d’altitude. Le virage 1 dont la construction est terminée est nivelé.

 

            Je sais que le cabinet a continué ses mesures jusqu’en janvier 1975, sans moi. Ayant réussi le D.P.L.G. de géomètre-expert, je risquais de coûter trop cher à mon patron qui m’a demandé d’aller voir ailleurs. Ce que j’ai fait.

 

46- Les Karellis sur le plan des Colonnes de Montricher

 

              Ce n’est que quarante ans plus tard, en juillet 2009, que je suis retourné sur place. Nostalgie, quand tu nous tiens …

          

            C’est grâce aux archives du cabinet Capiaux-Mas-Contet, successeur, que la plupart des précisions ont pu être rapportées. Merci beaucoup.

            Les images de mai 1970 sont tirées d'un film 8 mm que j'ai tourné.

            Les types d'instruments utilisés ont tous rejoints Géomusée, le Musée des Géomètres-Experts de la Région Rhône-Alpes !

            L’entreprise, elle, n’existe plus.

            Peut-être que certaines personnes, parmi les habitants, ou intervenants, détiennent des documents : coupures de journaux ou photos d’époque. Elles seraient très aimables si elles pouvaient me les communiquer à l'adresse : geomusee

 

                                                                       Lyon, décembre 2009

                                                                       Michel Chinal

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